Source et remerciements: Le Monde.fr
Xavier Niel, lors de la présentation de l'offre Free Mobile, mardi 10 janvier.AFP/THOMAS COEX
"Pas de panneaux publicitaires dans les rues ou le métro, pas de spot à la télévision ou de banderoles sur des sites Internet. Iliad, maison mère de Free, n'aura quasiment rien dépensé pour annoncer le lancement, mardi 10 janvier, de son offre de téléphonie mobile. Et prouvé qu'elle maniait avec brio l'art du buzz. A l'image d'Apple, le grand modèle en la matière."
"La machine médiatique s'est mise en branle dès la fin 2009, quand, à l'issue d'un bras de fer de plusieurs années entre l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), le gendarme hexagonal des télécommunications, et le lobbying des trois acteurs dominants du marché (France Télécom, SFR et Bouygues Telecom), vent debout contre son arrivée, Iliad s'est, enfin, vu accorder la quatrième licence d'exploitation d'un réseau de téléphonie mobile.
A l'époque, même le président de la République, Nicolas Sarkozy, avait un temps pris position contre la société, fondée en 1991 par Xavier Niel (par ailleurs actionnaire à titre personnel du Monde). L'occasion fut en tout cas belle pour le groupe de se faire une image à la David contre Goliath. Une image que Xavier Niel n'a cessé depuis de peaufiner au fil des interviews, forçant le contraste avec les trois "gros" du secteur, oubliant parfois au passage de mentionner le reste de la concurrence (les opérateurs mobiles virtuels, Numericable…). Et alors même que le petit poucet est devenu grand, puisqu'aujourd'hui Iliad a une capitalisation boursière supérieure à certaines sociétés du CAC 40.
PREMIÈRES OFFRES "TRIPLE PLAY" EN 2002
Xavier Niel a également répété sur tous les tons qu'il allait "diviser par deux la facture mobile des Français et réduire le train de vie des opérateurs", sans préciser à quel prix il se référait. Cette promesse alléchante sur un marché jugé peu concurrentiel – du moins jusqu'en 2009-2010 – est prise très au sérieux : c'est Iliad qui, en 2002, avait lancé les premières offres "triple play", couplant le téléphone fixe illimité, l'accès à Internet et la télévision sur le Web, pour 29,99 euros seulement, et obligeant ses concurrents à s'aligner.
Très inquiets, France Télécom, SFR, Bouygues et même les opérateurs mobiles virtuels ont tous, ces derniers mois, tenté d'anticiper l'offensive d'Iliad pour limiter les dégâts. Baisse des prix, lancement d'offres low cost commercialisées uniquement sur Internet, contrats "quadruple play" (forfait mobile ajouté à du triple play), afin de mieux fidéliser leurs clients… Mais, à leur corps défendant, chaque annonce était aussitôt soupesée par les médias et les analystes financiers à l'aune de la "future" offre d'Iliad, relançant ainsi le buzz. Au point que certains, comme chez SFR, excédés de faire de la publicité gratuitement pour Free, ont fini par décider, à l'automne 2011, de refuser de s'exprimer sur un concurrent qui tirait décidément trop la couverture médiatique à lui.
La fébrilité des médias et des "freenautes", les fans du groupe, a logiquement augmenté au fur et à mesure que la date butoir pour le lancement de l'offre mobile d'Iliad, fixée par l'Arcep au 12 janvier 2012, approchait.
Iliad a par ailleurs eu l'habileté de transformer cette attente en compte à rebours. Lorsque, le 13 décembre 2011, l'Arcep a donné son dernier feu vert pour le lancement de l'offre, Xavier Niel qui possédait jusqu'à présent un compte Twitter vierge de tout post, s'est fendu d'un "the Rocket is on the launch pad" ("la fusée est sur la rampe de lancement"). Avec ses 34 984 abonnés, le fondateur de Free était sûr que l'information serait retweetée à l'infini.
COMMUNICATION ADRESSÉE AU GEEK
Beaucoup, notamment parmi les analystes financiers, pensaient que Free sortirait du bois avant Noël, afin de profiter des fêtes pour faire le plein de clients (les opérateurs signent environ 25 % de leurs nouveaux forfaits à cette période). Mais il ne s'est rien passé. C'est alors que la communauté des freenautes est entrée dans la danse, donnant la mesure de son importance.
Iliad est l'une des rares sociétés françaises à disposer d'un tel réseau de fans. Sa cible ? Le geek ou la "geekette", qui passent leur vie sur Internet, aiment partager leur expérience sur les forums ou les réseaux sociaux. Le groupe sait les chouchouter en n'oubliant jamais d'insérer des produits ou des services un peu pointus, en tout cas innovants, dans ses offres grand public.
Et en axant sa communication autour d'eux : ainsi de ces spots publicitaires représentant un jeune geek stéréotypé, cheveux longs et grosses lunettes, discutant gratuitement avec de belles Suédoises ou se faisant "beaucoup d'amis" sur Internet. Le slogan "Il a Free, il a tout compris" a même été repris par des dizaines de groupes Facebook pour des sujets sans relation avec les télécommunications.
A chaque événement du groupe, les fans éditeurs de sites dédiés (Univers Freebox, Freenews, etc.) sont invités, et bénéficient d'un accueil privilégié. Du coup, certains comme Vincent Barrier, président d'Univers Freebox venu de Toulouse, ont fait le déplacement pour participer en direct au lancement de Free mobile, "au Château" (un superbe hôtel particulier que vient de s'offrir le groupe, près de la très chic place de la Madeleine). "On devrait être vingt représentants de la communauté. Je me déplace pour tous les lancements de produits, j'étais là fin 2010 pour la sortie de la Freebox Revolution, mais pas pour la présentation des résultats financiers, même si je suis également invité", assure-t-il.
Tout début janvier, le lancement pouvant survenir à n'importe quelle date, des sites Internet se sont mis à fleurir. Comme Free mobile asso, le site des "futurs utilisateurs de Free mobile" ou encore Forfaitfree.com, une page animée par des amoureux de la marque. Ils ont relayé et ont même été la source de la plupart des rumeurs qui ont couru sur l'offre dont personne, jusqu'au mardi 10 janvier au matin, ne connaissait encore le contenu, sauf Xavier Niel et quelques proches.
LA MAMIE DU CANTAL, RÉDACTRICE EN CHEF VIRTUELLE
Sans le vouloir, Stéphane Richard, le patron d'Orange, a, lui aussi, apporté sa pierre à l'édifice. Dans une interview accordée lundi 2 janvier au Figaro, il a expliqué que son groupe pouvait apporter satisfaction aussi bien "au jeune geek qu'à la mamie du Cantal". Malheureusement pour lui, cette paisible grand-mère du centre-sud de la France, comme la veuve de Carpentras en son temps, est devenue un symbole pour les freenautes.
D'un "hashtag" ou mot-clé sur le réseau social Twitter, elle est très vite passée rédactrice en chef virtuelle d'un site Internet consacré à… l'arrivée de Free mobile. S'adressant aux jeunes sur un ton familier, discutant dans le détail les tarifs des concurrents pour qu'ils puissent les comparer à loisir, leur rapportant toutes les nouvelles rumeurs sur Free, y compris la – probablement – fausse grille tarifaire de Free mobile qui a un moment circulé. C'est même elle qui a décrypté le code inscrit sur la fusée, placée symboliquement par Iliad sur une page Web vierge et annonçant l'arrivée de l'offre mobile !
Buzz organisé ou pas ? "Un peu quand même : les fusées, ce n'est pas la communauté qui les a inventées !", relève Vincent Barrier, d'Univers Freebox. Le buzz, "oui, on a essayé de le canaliser, mais aussi de toucher toutes les cibles de population, pas seulement les geeks", reconnaît Xavier Niel, mardi 10 janvier. Iliad a beaucoup joué du mystère, refusant jusqu'à la veille, de révéler la date, le lieu et l'heure de l'annonce.
Les médias ont joué le jeu jusqu'au dernier moment, multipliant les articles, relayant les rumeurs, racontant la "mamie du Cantal", la fusée, sa rampe de lancement… "La presse devrait exiger de l'achat d'espace, c'est incroyable comme elle parle d'Iliad sans que le groupe ne débourse rien !", pestait, il y a quelques jours, le service de la communication de SFR.
"Je vous dis qu'ils vont attendre le dernier moment, pour profiter au maximum du buzz et disposer d'un maximum de temps pour être fin prêts", déplorait le responsable de la communication d'un des trois opérateurs dominants, vendredi 6 janvier. "Je suis sûr que ce sera mardi prochain [le 10 janvier]. Avec le jeudi, c'est le jour qu'on préfère dans les services de communication pour organiser les conférences de presse. Le lundi, les journalistes rentrent de week-end, le mercredi, c'est la journée des enfants…" Bien vu !"
Sarah Belouezzane et Cécile Ducourtieux
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