Source: finance.blog.lemonde
La perte de 2,3 milliards de dollars de l’UBS fait suite à :- une série de transactions pour compte propre,
- transactions effectuées par un trader de 31 ans, Kweku Adoboli,
- trader frais émoulu des activités de « back office » (la comptabilisation des transactions),
- qui a utilisé sa connaissance de ces activités pour cacher ses opérations,
- opérations effectuées sur produits dérivés,
- opérations qui n’ont pas été découvertes par UBS mais sur aveu du trader.
Nous revoilà exactement dans le cas de figure que celui de Nick Leeson (dont Adoboli a engagé l’avocat pour sa défense), qui a fait sauter Baring Brothers dans les années 1990 et de Jérôme Kerviel qui a fait perdre 5 milliards d’euros à la Société générale, ainsi que d’autres fraudes de moindre ampleur qui ont émaillé l’histoire du trading de produits dérivés pour compte propre dans les banques.
Certes, on me répondra à juste titre que l’UBS s’est singularisée par un singulier mode de gestion aussi déplorable que les bonus de son PDG, Oswald Grübel, qui avaient atteint des zéniths en 2010 – malgré l’outrage et les manifestations du public. Il avait reçu vingt fois la rémunération de Jamie Dimon, le patron de JP Morgan ! L’UBS a changé trois fois de CEO depuis la crise de 2008. Cette banque, qui n’aurait jamais du abandonner son métier de base de gestionnaire de fortunes et d’investissements, s’est lancée dans la banque d’affaires sur une grande échelle.
Elle a perdu près de 18,4 milliards de dollars sur des obligations liées aux crédits subprime. Le gouvernement de Singapour, qui était venu à son secours, a perdu les deux tiers des 8 milliards investis à cette époque.
Elle s’est singularisée par une recherche agressive de gestion en Suisse de comptes de fraudeurs fiscaux américains, qui lui a valu les attaques du FBI et de l’IRS, mettant en danger le secret bancaire helvétique et forçant le gouvernement suisse de transiger avec les autorités fiscales américaines.
Cette fraude sur produits dérivés se situe dans son bastion londonien, dont les activités obligataires et de produits dérivés sont connues pour être aussi agressives qu’à la limite de la régularité. Contrairement à l’opinion la plus répandue, c’est en effet dans la City de Londres que s’est développée cette culture qui a mis en faillite AIG. Ce n’est pas le seul fait des banques américaines.
Mais la question posée hier par Martin Wolf, l'un des grands éditorialistes financiers du Financial Times, est la bonne : "Après cette succession de scandales identiques, dont les systèmes de contrôle sont déficients, pouvons-nous persister à autoriser les banques de dépôt à continuer leurs activités de marché ?"
La semaine dernière, un rapport allant dans le sens d’une séparation de ces métiers culturellement incompatibles a été publié à Londres par Si John Vickers et reçu avec scepticisme par les banques de la City. Le scandale de l’UBS est là pour rappeler que cette question est d’actualité.
Je reviens d’un séminaire organisé à Montréal par Cirano, un groupe influent de réflexion et de recherche universitaire du Québec, où se retrouvaient la Banque du Canada, les régulateurs, les banquiers et les académiques, sur le thème « too big to fail ». La question lancinante est de savoir si certaines institutions financières ne sont pas devenues tellement importantes qu’il est impossible de leur permettre une banqueroute. Mais en même temps, elles sont peut-être devenues trop importantes pour être sauvées par des Etats eux-mêmes aux prises avec des problèmes budgétaires.
La vraie question est différente : ce qui tient en otage les gouvernements, ce n’est pas la taille des institutions bancaires. Après tout, Exxon ou General Electric sont au moins aussi importants que Citi ou Bank of America.
Il s’agit plutôt de la cohabitation de deux activités bancaires. Les gouvernements et les contribuables sont otages, non de la taille des banques, mais des risques excessifs pris par leurs activités de marché. La fraude de l’UBS ne la menace pas dans son existence. Mais ce qui a fait sauter les banques ces dernières années, c’est une concentration excessive de risques sur titres, et non leurs activités de crédit. Ce sont les titres qu’avec la complicité des agences de notation, elles ont placées sur les marchés de capitaux.
J’ai abouti à la conviction que les gouvernements ne peuvent protéger les contribuables et leur propres finances publiques qu’en exigeant des banques universelles de se distancer tant comme actionnaires, que comme prêteurs, de leurs activités de banques de marché. La mentalité des banques de marché n’a pas changé. Elles sont de plus en plus proches du modèle des hedge funds. La preuve vient d’en être administrée, au cas où quelques esprits généreux croiraient encore que la prise de risque, les montants en cause et les bonus associés ont baissé de quelque manière que ce soit depuis la crise de Lehman.
Pour rappel, la réglementation américaine interdit ce genre d'activités pour compte propre et force les banques à exercer leurs activités sur produits dérivés dans des filiales.
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