"En proie à une économie souterraine qui se généralise et à une fraude fiscale endémique, le pays s’enfonce encore plus dans la récession, malgré le plan d’aide voté fin juillet."
"Il affirme ne rien vouloir renégocier. Explique qu’il tiendra toutes ses promesses. Mais confie qu’il redoute un nouveau dérapage budgétaire à cause de la récession plus forte que prévue… Evangélos Vénizélos, le ministre grec des Finances, reste prisonnier de cette insoluble quadrature du cercle à l’image du pays. Il table désormais sur une récession de l’ordre de 4,5% cette année… de quoi compliquer le respect, par Athènes, du suivi de la feuille de route économique dictée par la troïka (BCE, Commission européenne et FMI). Fin juillet, cette dernière avait finalement accepté un nouveau plan d’aide de 160 milliards d’euros à la Grèce. Mais, depuis, le pays s’enfonce encore plus dans la récession. Au cœur du problème grec, le manque de recettes pour réduire une dette estimée à 350 milliards d’euros, la faute, en grande partie, à l’évasion fiscale : un sport national grec qui n’arrange rien aux finances publiques.
«manège». Le cas du jeune Sotiris, dirigeant d’une petite entreprise de graphisme à Athènes, illustre la complexité des relations avec le Fisc. Il explique : «A cause du manque de liquidités dû à la crise, l’encaissement des chèques de mes clients peut prendre six mois. Entre-temps, une faillite peut survenir.» Un risque d’autant plus grand que la TVA, passée de 19 à 23% depuis 2008, doit être versée à l’Etat en espèces. «Je dois donc parfois avancer des montants importants, sans même être sûr d’être payé.» Malgré tout, «il m’est déjà arrivé de devoir glisser en plus quelques billets aux inspecteurs des impôts», poursuit-il, dépité.
L’économiste Yanis Varoufakis confirme que «les inspecteurs des impôts sont trop peu payés par rapport au pouvoir qu’ils détiennent,Et les organes censés les contrôler totalement inefficaces».
Georgios, lui, est guide touristique. Malgré six années d’études en philosophie de la religion et en communication, une expérience de cadre dans le secteur du tourisme, il n’a pu obtenir une licence de guide. Alors, il officie au noir. «Tout se fait par le bouche à oreille puisque je ne peux pas me faire de publicité. J’ai donc peu de clients.» Déclarer ses revenus ? Difficile. «Je pourrais le faire sous un autre statut. Mais au lieu des 1 500 euros par mois que je gagne actuellement, je retomberais à 900 en retirant Sécurité sociale et TVA. Sans même parler de l’impôt sur le revenu… J’ai justement démissionné de mon poste de cadre parce que 900 euros c’est ce que je touchais au final.»
Dès l’entretien d’embauche, Anthony, 33 ans, représentant pour la filiale grecque d’une agence de tourisme française, s’est vu exiger qu’une partie de son salaire ne soit pas déclarée. «Je ne pouvais pas dire non, ils étaient nombreux à attendre derrière moi.» Il déclare donc 748 euros nets par mois, alors qu’il en reçoit 1 500. Ne travaillant que sept mois dans l’année, il reste largement en dessous du seuil minimum imposable. Et les pratiques de son employeur ne sont pas près d’être révélées. «Un jour, une inspectrice du travail un peu zélée a commencé à poser des questions à tous les employés de l’hôtel, pas déclarés pour la plupart. Le manège a duré jusqu’à ce que le directeur l’emmène dans son bureau.» Elle en est ressortie tout sourire, une demi-heure plus tard, sans poursuivre son enquête.
«Dire que tous les Grecs fraudent tient un peu du mythe», avance Seraphim Seferiades, professeur de sociologie à l’université d’Athènes. «Si on ne peut nier que l’économie souterraine est importante, la majorité des Grecs paient leurs impôts, notamment les fonctionnaires, qui n’ont pas le choix. Le battage médiatique stigmatisant les petits fraudeurs cherche en fait à dissimuler ce qu’il se passe dans les plus hautes sphères.» Ce qui leur permet également de légitimer leurs actes. «Il existe en Grèce un profond sentiment d’injustice sociale. Cela ne donnera pas envie aux petits fraudeurs de retourner dans le droit chemin.»
défiance. Un sentiment partagé par Yanis Varoufakis : «En Grèce, l’Etat est l’ennemi public numéro 1. Augmenter les impôts ne résoudra pas le problème. Nous sommes arrivés à un équilibre où frauder est devenu une norme sociale, où être honnête est un acte héroïque. Pour lutter contre la fraude, il faut briser le sentiment d’impunité.» Anthony et Georgios ne craignent pas d’être rattrapés par la patrouille. Pour Georgios «l’administration grecque n’est pas équipée pour retrouver ceux qui sont en dehors». Et s’ils ne sont pas forcément fiers de leur activité au noir, leur défiance vis-à-vis du système est telle qu’ils ne culpabilisent pas."
Audrey Rinart - Libération
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