"Les Français ignorent qu'ils ont une créance de 66,4 milliards d'euros sur la Grèce. Ce n'est pas plus que nos partenaires de l'Euroland. Mais pas moins."
" Pour les vacances d'été 2012, la Grèce paraît une destination toute trouvée. Chaque Français, du nourrisson au centenaire, ne dispose-t-il pas d'un crédit d'un peu plus de 1000 euros? Tel est en effet le montant des créances de l'État français vis-à-vis d'Athènes. Ces chiffres acquièrent évidemment une saveur nouvelle depuis que la sortie de l'euro de la Grèce n'est plus un sujet tabou.
Le plus étonnant est que leur ampleur nous étonne et que l'opinion publique fasse mine de les découvrir. Certes, le dossier peut paraître épouvantablement technique. Bien à tort. Car à la fin des fins, les aides à la Grèce, qu'elles transitent par la BCE ou le Fonds européen de stabilité financière (FESF) créé à l'été 2010, se ramènent toujours à des crédits publics consentis par les États et leurs contribuables.
Juste avant de quitter ses fonctions de ministre des Finances, François Baroin a déclaré de façon bien trop cursive que si la Grèce faisait faillite, il en résulterait une perte «nette» de 50 milliards d'euros pour nos finances publiques. Le risque potentiel s'élève en réalité à 66,4 milliards d'euros si l'on prend en considération la totalité des circuits dans lesquels est impliqué l'État français. Pas plus que nos partenaires de l'Euroland (chacun selon l'importance de sa population), mais pas moins.
Fusée à trois étages
Nous reprenons ici l'estimation que nous a communiquée Éric Dor, le directeur de la recherche de l'IESEG School of Management de Lille, et qui a le mérite d'être exhaustive. Il faut s'imaginer une fusée à trois étages. Le premier, le plus simple, correspond aux aides bilatérales directes, décidées en mai 2010 quand il est apparu au grand jour qu'Athènes ne pouvait plus financer ses dettes sur les marchés financiers. Le total de ce programme s'élève à 80 milliards d'euros, dont 52,9 milliards ont été effectivement prêtés, la part française s'établissant à 11,4 milliards d'euros.
Le deuxième étage fait appel à une technique financière plus sophistiquée. Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) emprunte sur les marchés et reprête aux pays dans le besoin. Mais ce n'est qu'un compte écran. Si la Grèce devait faire défaut, le FESF se retournerait vers les États qui en sont le garant, et ils devraient le renflouer illico. Les engagements français au titre de la Grèce totalisent actuellement à 22,5 milliards d'euros.
Le troisième étage, la pointe de la fusée, est le plus sioux et concerne la Banque centrale européenne. Les banques centrales sont souvent présentées, particulièrement en France où l'on adore croire aux miracles, comme des «deus ex machina». N'ont-elles pas le pouvoir de créer de l'argent «ex nihilo» et de financer les banques, et pourquoi pas les États, comme le voudrait aujourd'hui François Hollande? La BCE a payé de sa personne de deux façons. Tout d'abord, elle a acheté sur les marchés de la dette grecque, à hauteur de 45 milliards d'euros environ. En cas de défaut, ces titres perdraient une grande partie de leur valeur sinon la totalité. La BCE devrait alors être recapitalisée par ses actionnaires (Banque de France, Bundesbank…), eux-mêmes propriétés des États. D'où une perte potentielle de 9,8 milliards pour les contribuables français.
Deuxième canal emprunté par la BCE, elle a secouru la Grèce encore plus massivement en fournissant des liquidités aux banques commerciales grecques. Cela s'est fait en échange de titres qui ont servi de gage (de collatéral en termes techniques). Au total, ces contributions s'élevaient officiellement à 104 milliards d'euros au 31 mars 2012. Si la Grèce devait sortir de l'euro et adopter la drachme, ces collatéraux ne vaudraient pratiquement plus rien. Le risque potentiel pour les Français est estimé à 22,7 milliards d'euros.
Un «principe de solidarité» sacro-saint
Voilà, de façon schématisée, la créance publique de la France. Ces éléments d'analyse sont tout à fait officiels. On se demande seulement pourquoi les assemblées parlementaires n'en ont jamais produit une synthèse complète.
«C'est notre monnaie collective qui est en cause. Une attaque sur un pays est une attaque sur l'ensemble du groupe», expliquait Christine Lagarde, alors ministre des Finances, à l'Assemblée nationale au printemps 2010. Voilà qui rappelle les affiches publicitaires pour «vendre» les emprunts russes aux épargnants de la IIIe République: «Prêter à la Russie, c'est prêter à la France».
En septembre 2011, l'Assemblée nationale a voté comme un seul homme la participation française au deuxième plan de sauvetage en faveur d'Athènes, au nom d'un «principe de solidarité» sacro-saint. Un haut fonctionnaire de la BCE nous confiait récemment sa stupéfaction, alors qu'il visitait un éminent responsable de la commission des finances de l'Assemblée nationale: ce dernier ne se souvenait même plus du montant des engagements souscrits par la France au FESF!
Telle est «l'insoutenable légèreté de l'être» politique français qui raisonne toujours en termes de symboles et jamais en fonction de la nature des choses. On est loin des débats de fond du Bundestag et de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, présentés en France comme des empêcheurs de tourner en rond. Alors qu'ils ne font que défendre des principes de droit et de réalité, l'opinion publique allemande a été instruite du dossier. «Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?» soupire-t-on chez nous."
Source: Le Figaro
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